Simulation n’est pas prédiction

Le client enthousiaste

En voyant ces superbes résultats en 3D d’une belle simulation de piétons, certains sont bluffés : « Waouh ! c’est tellement réaliste ! ». Cette apparence si proche de la réalité est trop souvent prise pour une preuve d’exactitude. Et ce sentiment d’exactitude est souvent encouragé avec complaisance par nous qui distribuons ces logiciels ou réalisons des études avec, et qui insistons sur la qualité des algorithmes issus de fines observations du monde réel et sur la somme de travail de développeurs experts. Pour un consultant qui utilise un logiciel de simulation de piétons, il est tentant de prendre une position d’expertise et de conclure une étude en écrivant que la durée d’évacuation du quai de gare est de 11 minutes 43 secondes. Emballez ceci dans une belle animation 3D, ajoutez de jolis diagrammes et de la conviction, et le client peut vous croire ! Il vous croira d’autant plus que ce n’est généralement pas son argent qui est en jeu (mais ceci est une autre histoire…).

Piétons

Le client sceptique

À l’opposé l’on trouvera ce client sceptique, méfiant, presque nihiliste, qui trouvera toujours quelques dizaines de points qui ne sont pas pris en compte par le modèle de simulation et qui l’invalident. Il a plein d’arguments par exemple sur l’impact de la panique, sur les comportements irrationnels, que le modèle ne décrit pas. Il fera remarquer que dans le monde réel il arrive qu’une personne tombe et devienne un obstacle, ou que les membres d’une même famille font tout pour rester ensemble, et ainsi de suite. Ce sont toutes des remarques pertinentes, et quels que soient les efforts des développeurs pour prendre en compte de plus en plus de détails, le sceptique trouvera toujours des arguments qui prouvent que la simulation n’est pas fiable et peut même conduire à des décisions dangereuses.

La simulation n’est pas la réalité

Je crois que chacun de ces comportements provient de la même erreur, qui est d’imaginer que la simulation est ou veut être un outil prédictif, nous disant ce qui va arriver. L’enthousiaste croit que la simulation est un outil magique qui va « scientifiquement » prouver qu’il avait raison dans sa conception. Le sceptique a la même espérance mais considère qu’il ne vaut pas la peine de perdre du temps dans quelque chose qui simplifie le comportement humain. Et évidemment un simulateur multi-agents simplifie les comportements humains !

La simulation de piétons n’est pas seulement une histoire de prévision. Et même ce n’est essentiellement PAS une histoire de prédiction. Comme tout modèle numérique, un modèle de simulation de piétons multi-agents est juste un moyen de calculer comment se comporterait un large ensemble d’agents virtuels dans certaines conditions. Soyons clairs, ces agents ne sont pas des humains. C’est pourquoi je trouve indispensable la documentation des logiciels et j’encourage les utilisateurs à la lire afin de comprendre ce qu’ils font aussi bien que possible (et pas seulement cliquer çà et là pour jouer avec les petits bonshommes…). Le consultant qui fait appel à la simulation de piétons doit être clair sur les hypothèses et expliciter ce qui est pris en compte et ce qui ne l’est pas.

Cela dit, je considère la simulation de piétons comme un outil d’analyse très précieux pour les personnes qui souhaitent mieux comprendre comment des usagers se déplacent dans leurs bâtiments. Construire un modèle, y mettre des agents et observer comment ils se déplacent, où ils s’accumulent, l’écart entre eux en situation normale ou exceptionnelle, voilà des choses qu’on ne peut faire qu’avec un bon logiciel de simulation de piétons. Ces modèles aident vraiment les concepteurs de bâtiments pour mesurer l’impact de leurs créations ou modifications. Et les belles animations qui vont avec cette approche ne doivent pas être négligées, car la communication reste un aspect important. Je crois aussi qu’un modèle consciencieusement réalisé avec des règles bien choisies donne une assez bonne idée du comportement qu’aurait un groupe d’humains… même si modèle n’est pas réalité !

 

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